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Acte I



Scène 1: Callirhoé

Callirhoé : Ô nuit, témoin de mes soupirs secrets,
Que ton ombre en ces lieux ne règne-t-elle encore?
Pourquoi l'impatiente aurore
Ouvre-t-elle mes yeux aux funestes apprêts
D'un hymen que j'abhorre?
Je vais donc m'engager à l'objet que je hais
Et je perds pour toujours un amant que j'adore.
Ô nuit, témoin de mes soupirs secrets,
Que ton ombre en ces lieux ne règne-t-elle encore?


Scène 2: Callirhoé, la Reine

La Reine : Ma fille, aux immortels quels vœux venez-vous faire?
Callirhoé : Je n'en formerais point qui puissent vous déplaire.
La Reine : Ce jour à Corésus engage votre foi,
Ministre de Bacchus, notre dieu tutélaire
Descendu de ces rois, dont avant votre père
Calydon recevait la loi.
C'est lui que Calydon vous demande pour roi.
Callirhoé : Hélas!
La Reine : Vous vous troublez, que faut-il que j'espère?
Vous savez vos devoirs, pourriez-vous les trahir?
Callirhoé : Non, je demande aux dieux la force d'obéir.
Gloire de Calydon, amour de la patrie,
Que ne m'avez-vous point coûté?
C'est pour vous qu'un héros à qui le sang me lie,
Le vaillant Agénor, vient de perdre la vie.
C'est pour vous que je vais perdre ma liberté.
Espoir d'un sort plus doux, sortez de ma mémoire!
La Reine : Ma fille, désormais, songez à notre gloire,
Mettez mon trône en sûreté.
Tromperiez-vous mes vœux? Tout un peuple farouche,
De Corésus trahi viendrait venger les droits.
Ce peuple le chérit et de la même bouche
Veut recevoir la loi des dieux et de ses rois.
Par des nœuds éternels, vous lui serez unie.
Je vais tout ordonner pour la cérémonie.


Scène 3: Callirhoé

Callirhoé : Objet infortuné de mes secrets désirs,
Agénor, qu'aux enfers Bellone a fait descendre,
Pour la première fois, je t'offre des soupirs
Quand tu ne peux plus les entendre.


Scène 4: Callirhoé, Agénor

Callirhoé : Mais, quel objet vient me frapper?
Est-ce un songe imposteur prêt à se dissiper?
Que vois-je? Est-ce Agénor?
Quels dieux l'ont fait renaître?
Agénor? Agénor!
Agénor : Mon aspect vous offense peut-être.
Callirhoé : M'a-t-on voulu tromper?
On croyait votre mort certaine.
Agénor : Les rebelles vaincus fuyaient devant nos traits,
Malgré mon sang versé, jusqu'au fond des forêts
La victoire m'entraîne, je tombe.
Je trouvais, d'heureux, et prompts secours,
Par le temps et les soins, je respirais à peine,
J'apprends qu'à Corésus vous unissez vos jours.
Callirhoé : Quelques fruits qu'en ces lieux apportât la victoire,
Nous pleurions votre mort et même notre gloire.
Agénor : A mon retour, donnez plutôt des pleurs.
Triste témoin de la gloire d'un autre,
Que mon retour me coûte de douleurs!
Ce trône, ces autels, ces guirlandes de fleurs,
Ces chiffres amoureux, ce nom qui joint le vôtre,
Pour ce spectacle odieux étais-je réservé?
Dieux, rendez-moi la mort dont vous m'avez sauvé.
Callirhoé : Agénor, quel discours? Que venez-vous m'apprendre?
Votre douleur doit m'irriter.
Agénor : Elle devrait moins vous surprendre,
Du secret de mon cœur vous cherchez à douter.
Avez-vous oublié, princesse, que vos charmes
Ont essayé sur moi leurs premiers coups?
Votre père expirait, je recueillais vos larmes,
Parmi le trouble et les alarmes,
Vos yeux brillaient déjà de l'éclat le plus doux.
J'apaisais des mutins les mouvements jaloux.
Ah! Ne jugiez-vous pas au succès de mes armes
Qu'un amant combattait pour vous?
Callirhoé : Ouvrez les yeux, que ce jour vous éclaire
Sur votre devoir et le mien.
Agénor : Hélas, je ne vois que le bien
Que m'arrache des dieux la funeste colère.
Callirhoé : Cessez de me parler d'un amour téméraire.
Agénor : L'amour l'est-il lorsqu'il n'espère rien?
Un autre à votre main, un autre vous engage!
Je ne veux qu'un regard, un seul regard, hélas!
Et je descends, tranquille, au ténébreux rivage.
Je ne veux qu'un regard, un seul regard, hélas!
Mon rival, trop heureux, ne me l'enviera pas.
Callirhoé : Que n'ai-je ignoré votre flamme?
Fuyez, éloignez-vous!
Agénor : Je ne vous verrai plus.
Callirhoé : Suivez mes ordres absolus.
Je dois de Corésus remplir toute mon âme,
Ne voir, n'entretenir que le seul Corésus.
Agénor : Vous ne le devez point, vous le voulez, cruelle!
Callirhoé : Ah! Qu'Agénor me connaît mal! Partez!
Agénor : Je vois la Reine et mon rival.
Callirhoé : Partez! Partez!
Agénor : Ô contrainte mortelle!
Callirhoé : Ô devoir trop fatal!


Scène 5: Callirhoé, Corésus, la Reine, la Princesse de Calydon

Corésus : Reine, votre auguste suffrage
Me rappelle au rang glorieux
Que tenaient ici mes aïeux.
Prononcez mon bonheur,
Achevez votre ouvrage.
La Reine : J'attends de votre hymen le bonheur de ces lieux.
Corésus : Des autels, à vos beaux yeux
Je porterai mon hommage
Sans craindre que ce partage
Offense à jamais nos dieux:
J'adore en vous leur image.
Callirhoé : Je sais ce que je dois à la Reine,
A l'empire, à Corésus, à moi.
Corésus : Chantez, peuples, chantez.
Chantez une fête si belle.
A mon amour, égalez votre zèle.
Chantez, chantez,
Que vos concerts s'élèvent jusqu'aux cieux.
Du bonheur d'un mortel, qu'ils instruisent les dieux.
Chœur : Régnez à jamais sur nos âmes,
Autant que vous régnez dans ce brillant séjour.
L'hymen vient nous offrir les chaînes de l'amour,
Et des plaisirs aussi purs que vos flammes.
La Princesse : Le tendre amour
Nous appelle à sa cour,
Il veut qu'on aime,
Notre cœur même
Le veut à son tour.
Chœur : Le tendre amour
Nous appelle à sa cour,
Il veut qu'on aime,
Notre cœur même
Le veut à son tour.
La Princesse : L'amour nous suit,
Est-ce à nous de le craindre?
Non, non, l'on n'est à plaindre
Que quand il nous fuit.
Ses nœuds sont doux,
Peut-on blâmer ses chaînes?
Non, non, s'il a des peines,
Ce n'est pas pour nous.
Chœur : L'amour nous suit,
Est-ce à nous de le craindre?
Non, non, l'on n'est à plaindre
Que quand il nous fuit.
Ses nœuds sont doux,
Peut-on blâmer ses chaînes?
Non, non, s'il a des peines,
Ce n'est pas pour nous.
La Reine : Ma fille, vous allez couronner mes projets,
Votre hymen de mon trône raffermit la puissance.
Venez remplir mon espérance,
Les vœux de Corésus et ceux de mes sujets.
Callirhoé : Impitoyables dieux, vous serez satisfaits.
Corésus : Dieux immortels, c'est moi qui vous appelle.
Respectable Junon, favorable Cybelle,
Tendre déesse des amants,
Venez tous assurer nos augustes serments.
Callirhoé : Ô mort, délivre-moi de ma peine cruelle.
Corésus : Toi qui, pour éclairer le plus beau de mes jours,
Pares les cieux d'une clarté nouvelle,
Soleil, à mes tendres amours,
Tu me verras aussi fidèle
Que tu l'es à remplir ton tour.
Callirhoé / Corésus: Sur cet autel redoutable au parjure,
Sur ces feux révérés par qui l'amour s'épure
Corésus : Je vous promets d'être à vous à jamais.
Callirhoé : Je vous promets…
Grands dieux, soutenez ma faiblesse.
Corésus / La Reine: Je frémis.
Callirhoé : Ah! Le jour me blesse, je m'affaiblis, je meurs.
Corésus : Je perdrais ma princesse!
La Reine : Le ciel veut différer de répondre à vos vœux.
Corésus : Prenons soin de ses jours.
Quel coup pour ma tendresse!
Destin jaloux, sans toi j'eusse été trop heureux.


Fin de l'Acte I


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