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Scène 1: Callirhoé | |
| Callirhoé : |
Coulez, mes pleurs, hâtez-vous de couler; N'offensez pas longtemps ma gloire. D'une éternelle nuit la mort va me couvrir. A toutes ses horreurs, j'ai préparé mon âme. Du jour qu'on m'a ravie à l'objet de ma flamme, N'avais-je pas commencé de mourir? Beaux jours tant espérés, sortez de ma mémoire; Sans trouble, sans regrets, il faut vous immoler. Coulez, mes pleurs, hâtez-vous de couler: N'offensez pas longtemps ma gloire. Ciel! Je vois Agénor, je commence à trembler. Il ignore le coup qui me doit accabler. |
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| Agénor : |
Enfin, le ciel suspend ses plus terribles coups. Ne nous flatte-t-on point d'une espérance vaine? |
| Callirhoé : | Non, contre Calydon les dieux n'ont plus de haine. |
| Agénor : |
Vos pleurs et vos vertus ont vaincu leur courroux. L'amour voyait vos yeux s'éteindre dans les larmes, Il a gémi de vos soupirs. Goûtez un doux repos, Brillez de nouveaux charmes; Que votre cœur s'ouvre aux plaisirs. |
| Callirhoé : |
Que les dieux sont cruels, même lorsqu'ils font grâce! Jamais leur courroux ne se lasse, Il ne fait que changer d'objet. |
| Agénor : |
Eh! Qu'importe à quel prix ils vous sauvent l'empire? Venez à Calydon rassurer vos sujets. Venez, venez, en vous voyant, que ce peuple respire, Qu'il lise son bonheur dans vos yeux satisfaits. |
| Callirhoé : | J'irai, j'irai subir le sort qu'on m'y prépare. |
| Agénor : | Quoi? Vous épouseriez cet ennemi barbare, Corésus? |
| Callirhoé : | Sur mon cœur il a perdu ses droits. |
| Agénor : |
Je puis donc espérer pour la première fois, Et vous pouvez enfin couronner ma tendresse. |
| Callirhoé : | Plût aux dieux! |
| Agénor : |
Eh! Quoi? Ma princesse! Quoi? Votre cœur pour moi N'a-t-il que des souhaits? Le sort rappelle ici la paix; Est-il temps pour moi de vous craindre? Hélas! Qui l'eût pensé jamais, Que ce serait de vous Que j'aurais à me plaindre? |
| Callirhoé : | Non, vous ne vous plaindrez que d'être trop aimé. |
| Agénor : | Eh! Qu'ai-je à craindre encore? |
| Callirhoé : |
Tout le ciel est armé. Si vous saviez quel sang ose exiger sa haine! |
| Agénor : | Serait-ce celui de la reine? |
| Callirhoé : | Non, c'est un sang moins cher. |
| Agénor : | Vous pleurez? |
| Callirhoé : | Quelle peine! |
| Agénor : | Je tremble, expliquez-vous. |
| Callirhoé : | Ne me demandez rien. |
| Agénor : | Ah! Je frissonne, achevez. |
| Callirhoé : | C'est le mien. |
| Agénor : |
Impitoyables dieux, vous demandez sa vie! Je ne les connais plus ces dieux, Je ne vois qu'un rival méprisé, furieux; C'est à lui qu'on vous sacrifie. |
| Callirhoé : |
Non, j'ai vu ses douleurs, il pleure mon trépas; Et je dois mourir de son bras, C'est le punir assez s'il m'aime. |
| Agénor : | Et moi, je vous adore, et vous ne mourrez pas. |
| Callirhoé : |
Prouvez-moi votre amour en me cédant vous-même. L'autel est prêt, j'y veux aller. |
| Agénor : |
J'y cours: de Corésus que le crime s'expie. On me payera cher de m'avoir fait trembler. Le bûcher brûle, et moi, j'éteins sa flamme impie Dans le sang du cruel qui veut vous immoler. Mes amis sont tout prêts, ils suivront mon exemple. J'attaquerai vos dieux, je briserai leurs temples, Dût sa ruine m'accabler. |
| Callirhoé : |
Ah! Cruel, arrêtez! Que veut-il entreprendre? De sa fureur, que puis-je attendre? Il ne manquait à mon tourment Que de craindre pour mon amant. |
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| Callirhoé : |
Mais, quels concerts se font entendre? J'aperçois les bergers de ces vallons chéris. Ils bénissent le ciel qui calme leur tristesse. Hélas, hélas, savent-ils à quel prix? Cachons le désordre où je suis, Ne troublons point leurs jeux, Mais dans leur allégresse, De mon trépas goûtons les premiers fruits. |
| Chœur : |
Loin de nous les plaintes, les craintes, Loin de nos cœurs les soupirs et les pleurs. Loin de nous les plaintes, les craintes, Loin de nos cœurs les atteintes, les vives douleurs. Princesse, aimez nos bocages, Prêtez l'oreille à nos chants: La cour présente aux rois Les plus brillants hommages, Nous vous offrons les plus touchants. |
| Une bergère : |
Dans nos champs, L'amour de Flore Fait éclore Ses nouveaux présents. Lieu tranquille, Charmant séjour, Sers d'asile, De temple à l'amour. Qu'il nous blesse, Que sans cesse L'on s'empresse D'entrer à sa cour. Dieu des amants, Ta puissance Récompense Nos tourments. |
| Chœur : |
Quelque chaîne Qu'ici l'on prenne, C'est par son choix. Soin de plaire, Retour sincère, Voilà nos lois. |
| Une bergère : |
Mille alarmes Troublent les charmes Du sort des rois. Mais l'envie Sur notre vie N'a point de droits. La jeunesse A la tendresse Doit ses beaux ans. Qui s'engage Fait de son âge Un long printemps. |
| Chœur : |
Quelque chaîne Qu'ici l'on prenne, C'est par son choix. Soin de plaire, Retour sincère, Voilà nos lois. |
| Callirhoé : |
Eh bien, vous les aurez ces jours, Ces jours tranquilles, Oui, je vous le promets. Venez, je vais au temple où les dieux plus faciles Doivent vous assurer une éternelle paix. |
| Chœur : | Nous vous suivons, nous quittons nos asiles. |
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| La Reine : |
Que vois-je? La victime est-elle entre leurs bras? Barbares, voulez-vous qu'on vous la sacrifie? |
| Chœur : | Reine! Que dites-vous? |
| La Reine : | Elle vole au trépas. |
| Chœur : | Eh! Qui peut menacer une si belle vie? |
| La Reine : | Les dieux. |
| Callirhoé : |
Je rends la paix à ma triste patrie, Mon sort est trop heureux. |
| Chœur : | Durent, durent plutôt nos maux les plus affreux. |
| Callirhoé : | Je vais mourir, l'Oracle a prononcé ma peine. |
| Chœur : | Nous démentons les dieux et nous bravons le sort. |
| Callirhoé : |
Voulez-vous qu'aux autels en rebelle on m'entraîne? Ah! Laissez-moi du moins la gloire de ma mort. |
| Chœur : | Tonne plutôt des dieux la redoutable haine. |
| Callirhoé : |
Souffrez qu'à vos sujets un doux calme revienne. N'êtes-vous pas leur mère avant d'être la mienne? Par l'amour que pour eux vous devez ressentir, A leur bonheur faites-les consentir. |
| La Reine : | Non, je ne verrai point ce spectacle funeste. |
| Callirhoé : |
C'est votre reine, apaisez ses douleurs, Osez m'arracher à ses pleurs. Vous frémissez, votre reine vous reste. Qu'elle vive, aimez la, ne quittez point ses pas. Sauvez lui, s'il se peut, l'horreur de mon trépas. Je vais mourir pour vous. |
| Chœur : |
Nous ne vous quittons pas. Non! Non! Nous ne vous quittons pas. |
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| Agénor : |
Peuples, écoutez-moi: Un ministre des dieux m'a révélé sa loi. Que votre crainte cesse, Il n'a pas sans retour condamné la princesse: Un sang moins précieux peut épargner le sien, Je vous offre le mien. |
| Chœur : | Ô trop fidèle amour! Ô généreux courage! |
| Callirhoé : | Non, vous ne mourrez pas. |
| Agénor : |
Venez sans tarder davantage. Venez, peuples, venez. Venez, suivez mes pas. |
| Chœur : | Ô trop fidèle amour! Ô généreux courage! |
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